
Dans la fermette en dehors du village, il y a Raymond.
Il ne rit jamais. Il n’en a pas le temps, il s’occupe de son bétail.
Il a des vaches, des belles, de bonnes laitières.
Chaque année il emmène au concours, la plus belle du troupeau.
Il la surnomme Joséphine parce qu’il aimait Becker.
Elle est noire, mais ne chante pas, c’est comme cela.
Lorsque la date est proche, Raymond la bouchonne.
Il est aux petits soins avec sa Diva.
Il lui mitonne des petits plats du meilleur fourrage.
Il la peigne doucement pour ne pas la blesser.
Il lui brosse les sabots, les lui vernit.
Rien n’est trop beau pour sa Princesse.
Le vétérinaire vient souvent lui rendre visite.
Il ne faudrait pas qu’elle tombe malade.
Lorsque le soleil cède sa place à la lune,
On le voit souvent à côté d’elle.
Il lui murmure à l’oreille les choses de l’Amour.
Lui assure qu’elle est la plus belle,
Et que demain c’est sûr, elle sera victorieuse.
Joséphine ne bouge pas, elle bat doucement des cils.
On pourrait croire qu’elle fait la coquette.
Il lui caresse lentement, une dernière fois la croupe,
Puis usé par son labeur, se dirige vers la chambre à coucher.
Là, il s’étend seul, sur le grand lit moelleux,
Et parfois il s’endort en pleurant.
Il se sent seul Raymond.
L’homme n’est pas beau mais il n’est pas repoussant.
Il est grand et fort et par dessus tout, il est gentil.
A tant de tendresse à donner que cela l’étouffe.
L’humain a beaucoup plus à partager qu’un simple morceau de sa couche.
Il a de l’instruction, lit beaucoup, va au cinéma.
Raymond est à la page et surfe sur le net, c’est son dada.
Il n’est en rien le personnage rural, bourru et entêté,
Que l’on décrit dans les romans de Balzac ou de Zola.
Lui ce qu’il veut, c’est aimer.
Les années passent et son rêve de fonder une famille s’étiole.
Il trouve cela injuste mais se raisonne.
Demain, demain peut-être…
De l’autre côté du village, il y a Blandine.
C’est la nouvelle institutrice.
Elle ne connait personne.
Elle aime se promener le long de la rivière, regarder les oiseaux,
Respirer l’air pur et s’étendre dans l’herbe fraîche.
Aujourd’hui, elle a de la visite.
Joséphine est sortie de son enclos, attirée par le parfum suave de Blandine.
Elle s’approche de la maîtresse, doucement pour ne pas l’effrayer.
On dirait qu’elle lui sourit , qu’elle désire lui parler.
Blandine n’est nullement apeurée.
Elle lui adresse une caresse de la main,
Et lui demande si elle a perdu son chemin.
L’animal la pousse gentiment, c’est une invitation semble t’il…
Et Blandine s’exécute et la suit timidement.
Pendant ce temps, Raymond est comme fou.
C’est l’heure de la traite et Joséphine n’est pas rentrée.
Il pense à la chèvre de Monsieur Seguin et il panique.
Si jamais quelqu’un ose effrayer sa Reine…
Mais ses pensées n’iront pas plus loin.
Là-bas au bout du chemin, il y a une personne qui vient.
Un être qui accompagne sa sultane sur le chemin.
Le spectacle charmant de deux altesses qui vont bon train.
Et Raymond reste là, tout ébaubi, tout surpris.
Il a perdu sa langue, ses pommettes rougissent .
Il a chaud, ses mains sont moites.
En un instant, il est tombé amoureux.
Les idées se bousculent dans sa tête,
Il parvient seulement à murmurer :
- Je vous attendais.