Vieillir
- » Occupez-vous de vos affaires! » C’est ce que criait Emile quand il sentait les regards, sur lui se poser.
- »Partez, allez-vous en, laissez-moi tranquille. »
Emile vivait dans un petit village savoyard. Un endroit où tout le monde se connait depuis des générations. Un endroit d’où l’on ne part pas.
Il avait acheté pour trois francs six sous, une bicoque en mauvaise état, qui aujourd’hui, à force de travail, était devenue agréable et confortable.
Il s’occupait de ses parents. Au rez de chaussée, une petite chambre avec 2 lits séparés. Ils ne dormaient plus ensemble depuis très longtemps mais n’étaient jamais très loin l’un de l’autre. Elle, toute recroquevillée d’avoir tellement travaillé. Lui, fier comme un paon à quatre-vingts ans passés. Elle avait élevé ses cinq enfants, en avait gardé aussi. Elle s’était occupée du jardin, de la maison, des animaux…sans compter les ménages qu’elle faisait dans ces belles maisons où l’argenterie et le cristal sont partout à la fois.
Lui, était instituteur. À l’époque, on respectait le maître autant que le maire ou le curé. Les temps avaient bien changé. Mais, il gardait la tête haute, fier d’avoir emmené jusqu’au certificat d’étude tellement de petits écoliers.
Certains le saluaient encore lorsqu’ils le croisaient.
Mais, Emile, qui vivait seul était très ennuyé. Son père en vieillissant devenait incontrôlable. Méchant par moment, insultant même et parfois, doux comme un agneau. Il avait failli mettre le feu à la maison plusieurs fois. Il avait poussé sa femme dans les escaliers…
Emile, aidé par une garde malade durant la journée, n’était pas tranquille. Le médecin avait été clair, pas de rémission…impossible. La psycho gériatrie, un mot bien compliqué pour expliquer que vieillir ne se fait pas sans mal parfois… On ne vieillit pas forcément comme on a vécu. Parfois, des troubles du caractère apparaissent, favorisés par la personnalité antérieure. Jean avait toujours été rigide et peu malléable. Aujourd’hui cela se traduisait par un autoritarisme qui choquait tous ceux qui autrefois l’avaient côtoyé. La moindre remarque était mal prise et donnait lieu à des comportements de saleté, d’irresponsabilité, de cruauté à l’égard de l’autre. Des propos outrageants parfois, des cris. Un sentiment de frustration pour Jean lorsque celui-ci reprenait ses esprits. Les colères allaient grandissantes quand il en venait à radoter et qu’il s’en rendait compte. Il perdait le contrôle de sa vie, de ses émotions. Égocentrique, avare, méfiant…Emile ne l’avait jamais vu ainsi. Depuis quelques temps, il refusait même de s’alimenter. Son fils redoutait la dépression, la démence même.
Sur les conseils du médecin, on décida de l’envoyer dans une institution.
Jean, ne hurla pas quand on l’emmena.
Emile et Victoire l’accompagnèrent. Elle pleurait toutes les larmes de son corps et son fils avait peur que cela lui ôte à tout jamais le gout de vivre. Le chemin qui les conduisait vers le centre de soins parut interminable. On avait rassemblé quelques objets. Ses médailles, son album photo, une boussole, quelques lettres et son fameux cartable. Une valise avait suffit…une minuscule valise …
Emile pensait que l’on réunissait beaucoup plus de choses au cours d’une vie…surtout lorsque celle-ci est longue, mais il n’en était rien. A croire, que ses parents n’attachaient pas d’importance aux souvenirs et se suffisaient à eux-mêmes.
Une année s’écoula. Emile venait souvent rendre visite à son père. Il arrivait seul car Victoire, n’avait pas survécu plus d’un semestre à l’absence de son aimé. Son petit cœur avait cessé de battre durant son sommeil et Emile l’avait découverte au petit matin endormie à tout jamais mais souriante, comme délivrée et heureuse de l’être.
Jean n’a jamais compris qu’elle était partie. Il perdait de plus en plus pied avec la réalité. L’agressivité s’en était allée pour faire place à l’isolement. Il ne parlait plus. Emile avait l’impression qu’il ne le reconnaissait plus d’ailleurs. Il refusait toujours de s’alimenter. Sa santé était plus que précaire. Aussi quelques mois après la perte de sa femme, il s’empressa de la rejoindre, sans un bruit, sans un cri.
Emile pleura beaucoup. On a toujours de très mauvais rapports avec la mort! Mais, finalement la raison le persuada que c’était mieux ainsi.
Mais les gens, le traitèrent de fils indigne. Il reçut des courriers monstrueux dans lesquels on lui rapprochait de s’être « débarrassé » de ses parents, de les avoir tués en quelque sorte. On le regardait de travers. On parlait dans son dos. Dans les petits villages, les commérages ont la dent dure. On invente, on suppute, on affirme haut et fort…on fait tellement de mal.
L’affaire prenait de l’ampleur aussi le maire, ancien élève de Jean décida-t’il de faire une réunion exceptionnelle dans la petite salle des fêtes. Il fit un discours incroyable, expliquant la maladie. Le médecin l’appuya. Il donna mauvaise conscience aux rumeurs et c’était bien le but. Oui, Emile ne s’était séparé de son père que par obligation. Il leur avait sacrifié sa vie et aujourd’hui encore était célibataire. Quand le maire eut fini, le silence était si pesant que cela en était gênant. On sentait la honte qui se cachait derrière chacun.
La sortie se fit sans bruit, sans chuchotement. Tous regardaient leurs pieds et allaient prestement.
Emile ne déménagea pas. Les mauvaises langues finirent par se taire.
Dans l’ancienne chambre de ses parents, il se fit un bureau. Il découvrit internet, les jeux…Il commença à s’occuper de lui, tout simplement.
Et je ne serais nullement étonnée d’apprendre qu’aujourd’hui il n’est plus seul…