13 janvier 2013 2 Commentaires

Le retour

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Cela fait bientôt quatre ans qu’elle vit seule, dans son petit village de montagne.

Quand il est parti, la fleur au bout du fusil, il souriait, persuadé de revenir avant Noël.  Il n’était pas le seul à partir confiant alors.

Marguerite n’avait pas eu vraiment peur.

A la ferme, Pierre l’aiderait avant et après la classe. C’était un grand garçon maintenant.

Heureusement, c’était une petite propriété. Peu de terres et peu d’animaux.  La traite des 4 vaches était assez rapide. Les moutons allaient dans les champs. Le cheval était calme et obéissant. Il faisait la fierté d’Armand. La volaille restait dans le poulailler qui était clos et les lapins dans leurs cages.

Dans le verger, quelques pommiers, un cerisier. A eux 2, ils cueilleraient les fruits et les déposeraient dans le garde-manger, à la cave, sous la maison. Ainsi gardés, fruits, légumes, charcuterie…leur permettaient de se nourrir jusqu’à la belle saison. Le plus difficile avait été de  retourner la terre, de faire des sillons et de planter.

Une véritable corvée pour qui n’est pas habitué. Le Paul, frère d’Armand, resté au pays venait de temps à autre. Malheureusement, il avait une grande propriété et une famille nombreuse. Ses visites étaient très brèves. Elle avait fini par accepter quelque argent de sa part car, elle n’avait plus le temps de descendre au marché pour y vendre quelques fromages, des fruits, les paniers qu’elle confectionnait…Elle rougissait toujours quand il lui tendait un billet  mais ne baissait plus la tête. Armand reviendrait et lui rendrait sa générosité au centuple.

En attendant, elle faisait de son mieux. Pour Pierre, elle gardait le sourire, cuisinait, racontait les histoires qui le faisaient voyager. Il était brun comme son père. Une belle chevelure épaisse. Coupés courts, dressés sur la tête, ils laissaient apparaître de beaux yeux verts, coquins et rieurs . Tous les enfants devraient avoir ce regard merveilleux, plein d’espoir et de vie. Il portait une blouse marine pour aller à l’école, un pantalon et d’imposantes galoches. Un pull, l’hiver et un maillot, l’été!  Loin des vitrines et de la mode, le principal étant  d’avoir bien chaud. Dès qu’il aidait sa mère, c’était short à bretelles et bottes! Pas question de se salir. Il posait souvent des questions sur son père mais les nouvelles du front étaient rares. On savait qu’à Verdun, dans les tranchées, les nappes de chlore brûlaient les yeux. De nombreux soldats avaient des problèmes respiratoires. Ils avaient froid, ils avaient faim, ils avaient continuellement la peur au ventre. Plus tard, lors de l’offensive du chemin des dames, certains essayèrent de résister. Les poilus  ne voulaient plus combattre, servir de cible en première ligne.  Armand avait-il été de ceux-là? L’avaient-ils fusillé pour insubordination?

Les journaux donnaient plus de renseignements au sujet des alliés.

Deux ans, qu’elle n’avait pas reçu de lettre.

Mais, Pour Pierre, elle cachait son inquiétude. Si Armand ne revenait pas, elle vendrait la ferme et retournerait travailler à la lainière, en ville. Des journées longues et difficiles mais un salaire à chaque fin de mois et une maison plus confortable.

Quatre ans qu’elle n’était pas allée chez le coiffeur. Quatre ans qu’elle s’habillait chaque matin de la même manière. Les traits tirés, dans le miroir, elle se disait que sa beauté s’en était allée et que  les rides apparues témoignaient de ces années de solitude, de ces années de labeur sans que jamais personne ne lui apporte un peu de chaleur.

Parfois, ivre de fatigue, dans son grand lit froid, elle s’offrait un petit plaisir solitaire. Elle fermait les yeux pour mieux imaginer les caresses qu’Armand lui offrait autrefois…Armand, comme elle l’avait aimé…

Et, ce fut la victoire. Les hommes revenaient petit à petit. Les blessures étaient profondes. Certains étaient défigurés et faisaient peur à leur propre famille. D’autres, souffraient de problèmes pulmonaires, de membres sectionnés, mutilés… Ils rêvaient haut et fort ou plutôt, cauchemardaient.  Le retour à la vie normale, demanderait de l’adaptation, d’un côté comme de l’autre.

Un matin, en juillet 1919, un homme grand et maigre franchit le portail de  la petite ferme. Pierre n’était pas en classe ce jour là. Il regarda l’homme, celui-ci lui sourit. Mais l’enfant courut vers sa mère, apeuré. Celle-ci prit le fusil dans la cuisine et se dirigea vers l’entrée de la maison. Elle tremblait. Une femme seule ne peut se défendre.

Elle avançait tout doucement, cachant sa peur.  Plus la distance raccourcissait, plus elle tremblait.

Enfin, quand elle fut à quelques pas de l’homme, elle ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Elle reconnut enfin  l’homme, son homme, Armand, amaigrit mais entier! Il lui était revenu, alors que l’espoir l’avait quittée. Elle se jeta dans ses bras. Ils se serrèrent très fort et très longtemps,  jusqu’à ce qu’une petite voix d’enfant se fasse entendre : » dis maman, c’est qui le monsieur? »

Tous deux se retournèrent et elle lui répondit :  » c’est ton père »

Pierre ne reconnaissait pas son papa mais devant la joie de sa maman, devant tant de larmes aussi, il sut qu’elle disait vrai.

La vie parfois est une parenthèse qui se referme dans la joie…

 

 

2 Réponses à “Le retour”

  1. D'esprit et de Coeur * Stephane * 13 janvier 2013 à 23 h 44 min #

    Une belle histoire qui est certainement arriver de nombreuses fois aux cours des nombreux conflits de part le monde et de part le temps….
    Stéphane !

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  2. etoiledelys 14 janvier 2013 à 11 h 25 min #

    Bonjour Plius,
    Le temps d’autrefois, l’attente, la vie en temps de guerre, c’est une histoire qui ressemble à celle de mes parents à la ferme…
    Gros bisous
    A très bientôt
    Etoiledelys

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