Elle était là, assise, genoux croisés sur sa chaise. Elle attendait qu’on vienne la chercher.
Elle voulait tellement quitter ce lieu lugubre dans lequel elle résidait depuis longtemps déjà.
La maison n’était pas mauvaise mais, c’était bien une cage. On y entre un jour sans savoir pour combien de temps…
Les raisons étaient multiples pour Rose.
Elle ne voulait pas travailler en usine. L’agriculture c’était pour les souillons pensait-elle, et faire la bonne était pire que tout. Elle avait essayé la couture quelques temps mais en vain. La seule chose qu’elle faisait correctement, c’était chanter. Et puis faire l’amour aussi. C’était ce que lui disait Titi quand il la quittait au petit matin. Il aimait son odeur, la douceur de sa peau, le parfum discret qu’elle appliquait derrière le lobe de ses oreilles, à l’intérieur de ses poignets et entre ses seins. Avec lui, elle n’avait aucune pudeur. Ils ne se disaient jamais qu’ils s’aimaient. Ils savaient simplement qu’ensemble, ils étaient bien. Il venait quand il voulait.
Bien-sûr, elle n’était pas idiote et voyait bien le regard des hommes se poser sur elle avec gourmandise. Mais, elle aimait sa petite vie tranquille et n’envisageait nullement de se marier.
Tous les soirs, lorsqu’elle chantait au café de Montmartre, il y avait toujours quelqu’un pour la raccompagner. Il n’était pas rare qu’on cherche à l’embrasser, qu’on insiste pour monter, mais Rose ne cédait jamais.
Gagnant correctement sa vie, elle passait le plus clair de son temps à se faire plaisir. Comme elle avait une taille de guêpe, elle achetait de jolies robes très cintrées. Elle portait un corset la plupart du temps comme les « Dames ». Elle adorait les petites bottines à lacets multiples. Le talon n’était pas trop haut. Cela lui permettait de se mouvoir aisément lorsqu’elle donnait des représentations sans jamais avoir mal aux pieds. Quant à ses dessous, elle ne s’autorisait que du blanc, de l’écru parfois. Le décolleté était sage.
Mais Rose aurait été belle même en haillons. Son corps était parfait, son visage était angélique et, elle portait le prénom de la plus énigmatique des fleurs. Elle avait de longs cheveux bruns qui tombaient en cascade sur ses reins. De longs cils noirs bordaient des yeux verts en amande incroyablement expressifs. Son petit air mutin lui donnait un air de jeunette. La peau était claire, la bouche pulpeuse. On avait envie de l’embrasser.
Mais, les contes de fée n’existent que rarement en réalité et Rose, perdit son travail.
Le café chantant avait été vendu pour devenir une blanchisserie.
Elle chercha un emploi pendant quelques mois. Ses économies fondaient à vue d’oeil et bientôt elle connut son premier retard de loyer. Le concierge ne la prit pas en pitié. Bien au contraire, il eut des paroles mordantes et des sourires mesquins. Il lui proposa même de le payer en nature, ce qu’elle refusa sans même réfléchir. Alors, vexé, il la jeta dehors après avoir pris soin de garder certaines de ses affaires pour parer au manque à gagner.
Ne sachant où aller, elle se retrouva sur le trottoir avec une énorme malle et deux valises. Les descendre du sixième étage avait été un enfer alors, se promener dans Paris ainsi n’était même pas envisageable. Elle resta là, espérant que Titi passerait et qu’ensemble ils trouveraient une solution.
Le soleil se cachait déjà derrière les nuages lorsqu’elle le vit à l’angle de la rue. Il parut surpris. Elle était bien trop fière et, durant ces quelques semaines n’avait pas évoqué la perte de son emploi. Il n’en fut pas vexé mais lui dit sans aucune gène qu’ils ne formaient pas un couple, qu’ils s’amusaient ensemble et, qu’il n’était pas responsable d’elle. Il ne s’attarda pas sur les larmes qui glissaient le long de ses joues. Il lui souhaita bonne chance et lui dit à bientôt comme si ce qui arrivait n’avait aucune espèce d’importance. Leur dernière rencontre dura cinq minutes mais cela suffit à lui briser le coeur.
Elle s’en voulait énormément car elle avait été naïve. Une voiture vint à passer. Le chauffeur ralentit. Un homme en chapeau haut de forme en descendit. Il regarda Rose et vint au devant d’elle.
- Que vous arrive-t-il charmante enfant? Auriez-vous des soucis?
Rose, intimidée baissa la tête et sécha bien vite ses larmes.
Elle répondit simplement : » Je n’ai plus de logis et suis sans travail »
- Tu es ma foi bien jolie et si tu le souhaites je veux bien t’héberger pour la nuit. Nous aviserons demain.
Rose, désespérée accepta. Il avait tout d’un gentilhomme. Le chauffeur mit la malle et les valises dans le véhicule en maugréant car elles étaient très lourdes. Puis, ils prirent tous trois, la direction du Palais Rose. Une drôle de coïncidence en vérité que le nom de cet hôtel particulier.
Elle eut un choc en le voyant. Il était situé rue Saint Louis. Sa construction datait de 1639 mais il n’avait rien perdu de sa superbe. Il avait été bâti à l’époque pour le conseiller et secrétaire du roi Louis XIII, Jean Baptiste Lambert. Depuis 1831, il était la propriété d’un prince polonais Adam Czartoryski.
L’homme qui se tenait aux côtés de Rose était le frère du prince. Il lui donna un petit cours d’architecture, lui expliquant que toute la difficulté de cette construction avait été de s’adapter au terrain. Il lui promit de lui faire visiter dès leur arrivée le grand appartement du premier étage qui donnait sur le jardin. Il lui dit de ne pas s’effrayer quand il lui nomma les 3 cabinets dits de l’Amour, des Muses et des Bains.
Rose avait entendu parler de ces lieux dans lesquels de nombreuses fêtes étaient données. Des gens célèbres y étaient descendus tels George Sand et Frédéric Chopin ou encore Honoré de Balzac. On disait que l’endroit était culturel, mais aussi politique. Notre héroïne était abasourdie. Elle hésitait cependant entre la peur et l’émerveillement. Que faisait-elle ici petite femme de rien, à la condition bien trop modeste pour oser franchir la grille? Mais, elle était fatiguée et saisissait simplement la main qu’aujourd’hui on lui tendait.
Elle visita les lieux et, chaque pièce était un enchantement. La décoration des plafonds ou encore le tour des portes. Le décorateur avait eu de l’inspiration et chaque chose paraissait être à sa place. Son esprit las se mit à vagabonder. Comme elle serait bien ici…
On lui montra sa chambre. Le chauffeur Edmond lui avait monté ses affaires. On la laissa se changer. Un thé serait servi dans quelques instants dans le grand salon. Elle y était conviée.
Elle ouvrit en toute hâte sa malle et, chercha sa belle robe blanche dont les manches étaient de dentelle. Elle attacha ses cheveux, et pour se donner du courage mit un peu de rouge sur le haut de ses pommettes. Elle paraissait moins fade ainsi.
Elle s’apprêtait à descendre les escaliers quand son hôte vint la chercher. Il avait troqué son costume noir pour un bleu marine, taillé plus près du corps. Il était grand et mince. Ses yeux bleus étaient troublants aussi Rose ne le regardait-elle jamais en face. Il n’était pas beau mais son visage était noble et sa fine moustache qui cachait à peine son sourire enjôleur lui donnait un charme fou. Rose était déstabilisée, désorientée. Elle était triste mais son coeur restait léger devant tous ces apparats. La chance serait-elle au menu?
La soirée fut charmante, et Constantin ne fut jamais grossier. Ses manières étaient celles d’un gentilhomme. Lorsqu’il la ramena à sa chambre, il lui baisa la main sans en exiger d’avantage. C’était un baiser léger, que l’on sentait à peine sur la main. Comme une caresse qui vous fait frissonner. On ne l’avait jamais embrassée comme cela.
Elle tourna longtemps dans son lit avant de trouver le sommeil. Ses rêves furent cotonneux, teintés de rose et de bleu.
Dès potron-minet, elle fut réveillée par le chant des oiseaux. Elle paressa un peu sous les couvertures. Ce matin, les questions se bousculaient dans sa tête. Elle mit un peignoir et ouvrit les volets. La Seine à deux pas, les arbres…une merveille. Le soleil lui faisait de l’oeil entre les feuilles d’un grand tilleul. Elle ferma un instant les yeux et lorsqu’elle les rouvrit, ce fut pour constater qu’en effet, elle ne rêvait pas. En bas, Constantin venait de l’apercevoir. Il était sur la terrasse et l’invita à le rejoindre. Elle ne se fit pas prier. Rapidement, elle se lava, s’habilla. Elle ne s’était jamais sentie aussi légère.
Constantin buvait un café et lisait le journal sur la terrasse ensoleillée. Il se leva dès qu’elle se présenta sur le perron et lui glissa cette fois-ci un tendre baiser sur la joue. Surprise, elle n’eut aucun mouvement de recul. Il lui prit la main et lui proposa une chaise à ses côtés.
-Alors très chère, avez-vous bien dormi?
-Parfaitement bien, je vous remercie.
-Je vous emmène aux courses aujourd’hui. N’oubliez pas de prendre une ombrelle. Aimez-vous le monde hippique?
-Mon oncle en Normandie avait un haras. Mais je n’y suis allée qu’une seule fois. J’avoue trouver l’animal magnifique mais je ne connais absolument rien au monde des courses.
-Vous verrez, c’est très distrayant. Cela vous plaira, je n’en doute pas un instant. Noémie votre bonne vous donnera de nouveaux vêtements. Vous ne pouvez pas sortir ainsi vêtue.
Il avait dit cela sans méchanceté plutôt comme une évidence mais, cela l’avait ramené à la réalité en une fraction de seconde. Oui, elle n’appartenait pas à ce monde et elle l’embarrassait sûrement. Il était trop gentil pour le laisser paraitre. Elle rougit et demanda à quitter la table.
-Mais enfin ma chère, vous n’avez rien avalé! Il n’est pas question de faire un malaise durant la journée. Je vous aurai prévenue. Ah, les femmes…lâcha-t-il comme une évidence.
Il avait un petit accent très plaisant mais les propos étaient blessants. Rose n’était plus très certaine de vouloir rester. Mais où aller? Elle n’avait pas d’amie enfin aucune qui aurait pu l’héberger. Ses parents étaient trop âgés pour qu’elle envisage de les rejoindre. Et puis, elle avait sa fierté! Elle s’en sortirait, seule.
Vers 10 heures, on vint la chercher. Noémie lui avait apporté une charmante robe de couleur violine. Tout paraissait être neuf. Elle en fut extrêmement surprise. Mais elle n’osa faire une remarque. La bonne restait muette. Elle l’avait aidée à s’habiller et cela l’avait beaucoup gênée. Mais, elle n’était qu’une invitée aussi se plia-t-elle aux us et coutumes de la maison.
Quand elle fut prête, elle rejoint Constantin sur la terrasse qui lui proposa son bras. Il ne cherchait apparemment pas à la séduire. Sur le champ de course, elle s’ennuya un peu. Il bavardait avec ses amis, la présentant à peine. Elle n’osa pas non plus entamer le dialogue avec aucune des dames présentes. Constantin ne lui avait donné aucune consigne. Elle était là tel un petit animal docile qui accompagne son maitre.
Sur le chemin du retour, il lui posa une main sur la cuisse. Elle poussa doucement sa jambe, il n’insista pas d’avantage.
Après le souper alors qu’il la raccompagnait dans sa chambre, il lui déposa un baiser comme la veille sur le dessus de la main mais alors qu’elle ouvrait la porte pour aller se coucher, il la poussa et entra avec elle.
Sans un mot, il la prit par les épaules et chercha à l’embrasser. Elle essaya de le repousser mais sans succès. Il la fit reculer jusqu’à son lit sur lequel il la jeta. Puis, il entreprit de relever ses jupes. Sa main se fit chercheuse. Il était brutal et son souffle devenait rauque. Rose paniquait . Qu’adviendrait-il si elle lui cédait là, maintenant? La garderait-il avec lui? Il ne l’épouserait pas, sa condition le lui interdisait. Elle ne l’aimait pas enfin pas encore car ils se connaissaient à peine.
-Mais, vas-tu te laisser faire cria-t-il soudain, agacé par les efforts qu’il était obligé de déployer. D’ordinaire, elles ne demandent pas mieux!
Il devenait tout rouge. Son corps transpirait. Il perdait ses moyens. Elle reprit le dessus sans attendre et le gifla de toutes ses forces. Il en resta muet de surprise. La bague de Rose lui avait entaillé la joue. Quelques secondes plus tard, il vociféra.
- Dehors, espèce de trainée. On aguiche les hommes et ensuite on les repousse? On n’a rien sans rien dans ce bas monde jeune fille. Dehors, immédiatement avant que je vous fasse chasser.
Il la saisit par le bras et la traina jusqu’au bas des escaliers. Là, il la tira encore jusqu’au portail et sans coup férir, la poussa sur le trottoir.
-Voilà, là tu es à ta place.
-Mes affaires, supplia Rose.
-Tu t’en passeras et ne reviens jamais sinon j’appelle la police. Je dirais que tu es une prostituée qui nous harcèle et tu verras bien le sort que l’on te réservera.
Il lui jeta quelque argent et lui tourna définitivement le dos.
Rose crut mourir à cet instant. Sans réfléchir, elle se dirigea vers la Seine. Ce serait facile et surement rapide puisqu’elle ne savait pas nager. Et, elle fit ce à quoi elle pensait: elle sauta au beau milieu afin de ne pouvoir dans un instinct de survie se raccrocher aux bords.
Mais, il y avait Paulo. Lui savait nager et sans réfléchir il plongea. Elle se débattit car elle ne voulait plus vivre. Il l’assomma. Il était hors de question qu’il se noie avec elle. Des passants l’aidèrent à la sortir de l’eau. Ainsi vêtue, elle faisait penser à la belle au bois dormant. On lui tapota les mains, les joues et doucement, elle revint à elle.
Paulo la rassura.
-Je vais t’emmener chez moi. Tu pourras te sécher. J’habite à deux pas. Tu me raconteras ce qui t’arrive.
Et il la prit dans ses bras. Paulo était fort et bien plus grand que Rose. Il n’avait rien d’un prince charmant. La jeune femme s’en fichait bien à présent qu’elle ne possédait plus rien, même pas de quoi se changer. Elle éclata en sanglots sur l’épaule du gaillard qui feignit de ne pas s’en apercevoir.
L’homme vivait sous les toits dans une toute petite pièce dans laquelle se trouvaient un lit, une table, une chaise et un lavabo. Quelques victuailles dans un sac qui pendait à la fenêtre. Il ne chercha pas à s’excuser. Il n’était pas gêné. Plutôt que de se perdre en conjectures, il préféra lui poser des questions directement.
-Que t’arrive-t-il? Explique.
Rose lui raconta son histoire. Il n’eut aucun mot pour la consoler. Il lui dit simplement : » Je ne peux t’aider mais je connais une maison où tu seras bien. Tu ne feras pas ta mijaurée, je compte sur toi. »
Elle haussa l’épaule. Au point où elle en était que pouvait-il lui arriver de pire?
Elle suivit docilement après s’être séchée. Il la mena dans une grande maison où, elle fut accueillie par une dame toute de noir vêtue. Le visage sévère, celle-ci les entraina dans son bureau afin de pouvoir s’entretenir en toute tranquillité.
Elle dut décliner son identité et faire un résumé de sa petite existence.
Puis la femme qui se nommait Claudine la regarda ou plutôt l’observa.
-Tu es bien faite, agréable à regarder. Oui, je pense que tu peux travailler ici. Mais je te préviens, pas de simagrées. Tu feras ce que l’on te dira.
Rose sans comprendra acquiesça. Elle se sentait perdue.
-C’est bien. Je vois que tu es obéissante. Merci Paulo.
Puis, s’adressant à Rose : » Allez viens, suis-moi, je vais te montrer tes quartiers. »
Elle prit quelques pièces dans le tiroir de son bureau qu’elle donna à l’homme, qui aussitôt disparut. Puis, elle entraina Rose dans les escaliers.
Il n’y avait pas âme qui vive dans les couloirs. Arrivées au dernier étage, des gloussements se firent entendre.
Claudine ou plutôt Madame Claudine, c’est ainsi qu’elle souhaitait qu’on l’appelle ouvrit une porte. Rose entra.
La surprise fut de taille. Elle en resta sans voix.
-Les filles vont t’expliquer ce que l’on attend de toi. Le médecin passera dans une heure afin de t’ausculter. C’est une bonne maison ici et il n’est pas question que je fasse travailler une personne malade. On reçoit des gens bien ici et j’ai une réputation à tenir. À plus tard.
Dans la pièce, une dizaine de filles, toutes différentes. Elles entourèrent Rose et le silence se fit.
Quand la jeune-fille comprit dans quel endroit elle se trouvait, elle chercha à s’échapper mais Madame Claudine avait pris soin de refermer la porte à clef.
- T’inquiète pas, c’est pas si terrible dit la rouquine en rigolant. On nous nourrit, on boit du champagne, et la clientèle, c’est du beau monde. Tu t’y feras comme nous toutes ici.
-Mais, je n’ai nullement l’intention de vivre de mes charmes!
-Vivre de ses charmes, non mais vous l’entendez? Tu te crois meilleure que nous?
-Ne les écoute pas intervint tout à coup Clémence une belle brune, elles plaisantent. Raconte-nous plutôt comment tu es arrivée jusqu’ici.
Et Rose narra son histoire pour la énième fois. Les filles la cajolèrent. La tristesse se lisait dans les yeux de chacune d’elles. Elles avaient toutes une histoire similaire dans le fond de leur coeur. Elles ne se retrouvaient jamais ici de leur plein gré.
Le premier soir, Rose fit de la figuration. Les hommes la regardaient beaucoup. Ils lui offrirent du champagne. Elle buvait doucement car si le liquide coulait dans sa gorge tel du miel, il lui tournait rapidement la tête, et elle souhaitait rester maitresse d’elle même. Elle avait du revêtir des sous vêtements noirs et se maquiller outrageusement. Elle ne se reconnaissait pas. Elle se sentait sale à l’intérieur. Pourtant ces vêtements la mettaient en valeur. Elle n’avait rien de vulgaire. Elle était magnifique.
Les tons chauds de la décoration, les drapés de velours, les lustres de cristal, les sofas moelleux donnaient du cachet à cet endroit. Les hommes s’affalaient dans les fauteuils. Ils jouaient, une femme sur les genoux, buvaient, fumaient ou ne faisaient rien que de se laisser porter par l’instant. C’était l’endroit de tous les plaisirs. Dans cette atmosphère feutrée, il n’y avait aucun stress, juste de la délectation, celle des sens en éveil. Une odeur particulière émanait de cet environnement, elle envoutait chacun. Alcool et amour ne font pas toujours bon ménage mais en bas, dans le salon, il n’y avait rien d’autre que du bien-être.
Les filles montaient, redescendaient… elles ne semblaient pas souffrir. Elles n’avaient plus d’égo depuis bien longtemps. Chaque soir, elles devaient être séduisantes, aguicheuses afin que ces messieurs dépensent leur argent. Certaines espéraient s’en sortir mais, il aurait fallu pour cela qu’un de leur protecteur accepte de racheter leurs dettes auprès de Madame Claudine. En effet, celle-ci, maligne se proposait d’avancer l’argent des petits plaisirs quotidiens, tels le parfum, les crèmes, les robes…mais, elle leur imposait des taux de remboursement colossaux. La dette grossissait sans cesse sans espoir d’être anéantie un jour. Les hommes qui disaient être sous le charme de leur putain, tel était leur nom en vérité, promettaient le mariage. Ils offraient des bijoux mais cela n’allait jamais plus loin.
Elles étaient condamnées à rester là jusqu’à ce que la maladie les rattrape ou que l’âge les délivre. Elles étaient dociles cependant car les extravagances de ces messieurs restaient supportables. Madame Claudine veillait à leur confort comme on le ferait avec des bêtes de concours. Une femme abimée ne rapportait pas d’argent et Madame Claudine ne pouvait se le permettre.
Rose s’est très vite adaptée. Tout est plus facile lorsque l’on sait qu’on n’a pas d’autre choix. Sa beauté lui avait permis de recourir à la protection d’un seul homme qui se montrait presque chaque soir. Elle avait eu la chance de ne pas tomber enceinte. Cela aurait été une catastrophe. Plusieurs filles avaient disparu à cause de cela. L’homme était puissant et les autres clients le respectaient. La première fois avait été la plus difficile. On a envie de mourir. L’homme était doux, il cherchait d’avantage de tendresse et d’écoute que d’ébats. Elle survécut à cela.
Elle résidait dans cet endroit depuis trois ans maintenant. Elle ne faisait plus de projet, vivait simplement l’instant présent. Les filles étaient très soudées entre elles. Elle avait l’impression étrange d’appartenir à une famille.
Pourtant, un soir, il y eut la visite de Constantin. Dès qu’il la vit, il la demanda. Elle refusa mais Madame Claudine lui ordonna de monter. Rose fut prise d’une terrible colère. Elle prit tout de même le chemin de la chambre. L’homme jubilait, il ricanait dans son dos et cela lui était insupportable.
-Je vois qu’on a retrouvé du travail.
Elle ne lui laissa pas le temps d’achever sa phrase. Elle saisit le poignard qu’elle cachait dans la table de nuit de nuit et frappa de toutes ses forces. L’homme tomba lourdement à genoux, sans un bruit.
Elle resta là un moment, baignant dans le sang puis, sans qu’elle ne puisse se contrôler, un cri affreux sortit de sa gorge. Il fallut la gifler pour qu’elle cesse de hurler.
Constantin fut emmené à l’hôpital et survécut.
Rose, bascula dans l’inconnu. La folie s’empara d’elle et lors de son procès, le verdict fut implacable, elle serait internée, pour le temps qu’il lui resterait à vivre.
Alors aujourd’hui et tous les autres jours de sa vie, Rose est là, assise, genoux croisés sur sa chaise. Elle attend qu’on vienne la chercher pour l’emmener vers une vie meilleure…
Elle voudrait tellement quitter ce lieu lugubre dans lequel elle réside depuis longtemps déjà.
La maison n’est pas mauvaise mais une cage reste une cage