Une fée
Toutes les fées du monde ne pourront rendre Vincent heureux.
Car, Vincent est enfermé dans un monde bien à lui depuis sa naissance.
C’était un très beau bébé, aux traits lisses et joufflu. Un bébé tout en rondeur, grand et chevelu.
Mais, un visage sans expression. Il semblait déjà ailleurs.
Pas de pleurs, pas de cri.
Il se nourrissait bien mais refusait le sein. Ses petits doigts ne cherchaient pas le contact. Ses yeux ne suivaient pas le mouvement.
Personne ne s’inquiéta quand à deux ans, il ne babilla pas. Aucun son, autre que guttural ne sonnait aux oreilles de ses parents. On ausculta les oreilles. Tout sonnait clair.
Après de nombreux tests, les médecins diagnostiquèrent une forme d’autisme.
Les parents déprimèrent car, ils y voyaient de l’injustice et très vite de la peur aussi. Comment envisager de rester un étranger pour son enfant quelque soient les circonstances ? Le couple se brisa net, se rejetant mutuellement la « faute ».
Heureusement, le petit bonhomme avait une grand-mère extraordinaire. Une infirmière à la retraite qui avait longtemps travaillé auprès des enfants.
Vivant seule, elle réussit à persuader sa fille et son beau-fils de lui confier la garde de l’enfant. Il fallut négocier mais elle sut trouver les mots. Placer Vincent n’était pas la solution. Il ne représentait aucun danger et Mamie Totola (diminutif de chocolat, mot imprononçable pour ses petits enfants) se sentait de taille. Elle n’avait pas encore cinquante ans.
Elle rencontra donc les médecins qui lui donnèrent de l’espoir puisque la maladie avait été diagnostiquée très tôt.
Elle nota sur un cahier tous les faits et gestes de l’enfant afin de pouvoir observer les progrès comme les régressions.
Elle nota les mots qu’il répétait en boucle, les jouets auxquels il s’intéressait…
Il comprenait apparemment fort bien tous les mots qu’elle prononçait. Ce fut pour elle un soulagement.
Quand il avait du mal à faire certains gestes, elle accompagnait son mouvement. A force de persévérance, elle lui apprit à lire. Dès lors, il dévora tous les ouvrages, magasines et recueils qu’il pouvait trouver.
Quand il était disposé à répondre à ses questions, il l’interloquait par la somme de ses connaissances.
Il n’y avait que pour les repas où Mamie Totolat avait dû céder. Il mangeait toujours les mêmes aliments : pommes de terre, steaks hachés, haricots verts et danette. Un fruit de temps à autre. Elle avait très vite baissé les bras devant ses crises de colère car il devenait alors véritablement enragé. Mamie n’aurait pas supporté qu’on lui enlève son Ange. Elle n’en avait jamais rien dit. C’était leur petit secret.
Et, Vincent grandit. Les médecins étaient agréablement surpris des progrès réalisés. Il pouvait se débrouiller seul, pour s’habiller, se laver…
Seules ses relations avec les autres étaient impossibles. Pas de communication, jamais. De ce côté là, aucun progrès.
Mamie n’avait jamais reçu de câlin, de bisou, de merci. C’était comme si tout ce qu’elle faisait pour Vincent était normal pour lui.
A 20 ans, c’était un très beau jeune-homme. Pas de toc, de posture étrange. Il avait simplement l’air absent, tout le temps. Il faisait des tas de choses mais dans son monde.
Les médecins demandèrent à sa grand-mère de le placer quelques heures par semaine dans une école adaptée. Ce ne fut pas un échec mais pas une réussite non plus. Cela permit aux médecins de valider ses connaissances(incroyables en programmation, en informatique). Il avait la bosse des sciences, c’était certain. Dès lors, ils l’orientèrent vers ce domaine.
Il exécutait parfaitement tout ce qu’on lui demandait. Il comprenait mais ne réussissait pas à communiquer.
Au début, Mamie restait avec lui puis elle put le laisser avec les autres élèves plusieurs heures durant.
Mamie Totolat était très fière de son petit-fils. Depuis quelque temps, il acceptait même de sortir avec elle au restaurant, faire les courses…
Mais, mamie se sentait fatiguée. Elle tenta un rapprochement entre Vincent et ses parents mais ceux-ci ne montrèrent aucune bonne volonté. Ils avaient fait un choix : celui de rayer leur enfant de leur vie.
Mamie angoissait de plus en plus. Quand sa fatigue s’accentua, elle se décida à consulter et le diagnostic fut sans appel. Dans quelques mois, elle ne serait plus là.
Elle réunit alors ses dernières forces pour chercher un endroit où Vincent se sentirait bien. Elle rencontra les éducateurs, les infirmières. Elle leur remit des copies de son petit carnet. Elle vit des gens compréhensifs et cela l’apaisa un peu.
Avant de se sentir trop faible, elle accompagna Vincent dans sa nouvelle demeure. Elle ne fut pas étonnée de voir que celui-ci l’oubliait dès qu’elle franchissait la porte.
Elle en fut meurtrie au début puis soulagée. Elle ne lui manquerait pas.
Elle avait choisit un établissement avec un jardin magnifique et une fontaine. En cette période, les papillons virevoltaient au dessus de l’eau et elle savait que cela ferait le bonheur de son petit-fils qui vouait une passion sans égale aux papillons. Y voyait-il de petites fées ?
Quand elle vint pour la dernière fois, elle se risqua à le serrer tout contr’elle en partant. Quelques secondes à peine…mais il lui sembla que le petit ne chercha pas à se dégager. Une larme coula sur la joue de Grand-mère. Elle savait la séparation définitive.
Quand elle franchit la porte et se retourna une dernière fois, il lui sembla que Vincent pour la toute première fois lui souriait. Le temps de sécher une seconde larme et l’enfant s’était déjà retourné…
Elle emporterait ce sourire là-bas comme une récompense. Elle qui avait tout donné.
Me voilà la larme à l’oeil, sujet délicat mais si bien raconter, je reste sans mot.
Bonne soirée Plius, bisous